La Chimère à la guitare

La suite de mon histoire m'entraîne en 1995. Oui, cela fait une énorme ellipse, et vous vous doutez bien qu'il s'est passé beaucoup de choses entretemps. Mais 1995 était une année importante pour moi car, pour la première fois depuis l'assassinat de Hatan, je revenais à Paris. À l'époque, bien sûr, on avait recherché Duncan Blackthorne, meurtrier présumé de Théophile Marchand et de cinq autres personnes. Mais on avait perdu sa trace, et avec le temps, on avait oublié. Et le jeune homme nommé Duncan Blackthorne qui arpentait aujourd'hui les rues de Paris ne pouvait pas être le même que celui des années 1930 ...

J'avais un peu changé de look depuis tout ce temps. J'avais laissé pousser mes cheveux depuis les années 1960, et ils arrivaient maintenant jusqu'au bas de mon dos. En retombant sur mes épaules de géant et mon manteau noir, ils me donnaient une allure impressionnante.

Il n'y avait pas que mon apparence physique qui avait évolué depuis les années 1960. Mes cibles privilégiés d'Assouvissement avaient changé avec les habitudes des humains. En Grande-Bretagne et aux États-Unis où j'avais voyagé, j'avais assisté à la naissance de la musique rock et des concerts qui allaient avec, où les groupies - on ne parlait pas encore de fans à l'époque - s'extasiaient devant leurs idoles, me procurant au passage une nourriture abondante. Mais le summum, le delikatessen de mon Assouvissement, demeurait le Ka-Soleil des humains en extase sexuelle.

La première chose que je fis en revenant à Paris fut bien évidemment de saluer Hatan, ou ce qu'il en restait. Je constatai en grimaçant que la Narcose ne l'avait pas épargné. Je savais que c'était inéluctable, qu'à moins que je trouve un remède, Hatan était condamné à se dissoudre lentement dans les Champs magiques, mais je ne pus m'empêcher de verser une larme en lui racontant ce que j'avais vécu. J'étais sur un toit et de temps en temps, je regardais la rue en contrebas. Les maisons closes n'existaient plus officiellement, mais les bars olé-olé et les peep-shows les avaient remplacés. Des néons à la place des lanternes rouges : rien n'avait changé, en fait.

Après avoir salué Hatan, il me fallait penser à ce que j'allais faire sur place. Je venais de faire l'acquisition d'un appartement dans un beau quartier, où j'avais l'intention de continuer de pratiquer un art qui m'était venu tout naturellement au cours des années : la peinture. Mes tableaux étaient bien dans le style d'un Selenim : le noir et le blanc y dominaient, et la plus grande beauté y côtoyait les pires horreurs. Certaines de mes maîtresses m'avaient servi de modèles pour ces toiles.

La première chose qui m'importait était de trouver de quoi m'Assouvir un peu. Je cherchai un club peu connu, donc peu susceptible d'être fréquenté par des humains trop malins : j'avais appris à être discret. Un petit club nommé le Mirage 2000 m'attira non seulement par sa position isolée mais aussi par l'affiche du groupe qui jouait ce soir-là : le chanteur avait des yeux noirs, des griffes, une étrange pilosité ... C'était un Nephilim, et plus précisément une Chimère !

J'entrai dans le club et il se passa peu de temps avant que le concert ne commence. Ce groupe, Platinum Rose d'après l'affiche, avait un certain nombre d'admirateurs et d'admiratrices prêts à applaudir la Chimère et ses acolytes, et à m'offrir leur essence à leur insu. Je commençai mon Assouvissement dès les premiers morceaux, mais je pris un peu trop de Ka-Soleil à une fille qui manqua de défaillir près de la scène. Elle était épuisée mais pas en danger ; néammoins, la Chimère sur scène la remarqua ... et me remarqua aussi.

J'attendis sagement la fin du concert pour sortir du club et aborder la Chimère alors que son groupe rangeait son matériel. L'accueil qu'il me fit fut glacial : visiblement, il était poursuivi et craignait que je fasse partie de ses poursuivants. Je ne savais que trop bien à quoi ressemblait un Immortel qui craignait pour sa vie. Je tentai donc de ne pas l'effrayer et de rester humble ; après tout, je n'étais âgé que de 89 ans, ce qui était ridiculement jeune pour un Immortel. Celui-ci, tout comme Hatan, avait vécu des milliers d'années, même s'il en avait probablement passé un grand nombre en Stase.

Ma tentative rata, cependant. La Chimère prit franchement peur et me traita de Templier, me confondant avec un humain des Arcanes Mineurs à cause de mon absence de métamorphoses. Il me révéla cependant son nom : Kyle ; je soupçonnai qu'il ne s'agissait que d'un pseudonyme. Il prit ensuite la fuite, et comme ses compagnons humains commençaient à s'inquiéter eux aussi, je décidai de ne pas insister. Une sorte de voix intérieure me disait que j'allais très vite le revoir ...

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