Hatan, mon ami

J'éprouve de la nostalgie en écrivant ces lignes. Elles parlent du premier ami que j'ai eu, et que j'ai longtemps cru être le seul ... avant que je ne rencontre Kyle, mais ceci est une autre histoire.

Il s'était écoulé un peu de temps depuis ma "naissance". Nous étions au début des années 1930, et j'étais un jeune Selenim. Je n'irai pas jusqu'à dire "jeune et fort" : déjà à cette époque, j'avais compris que la force des miens augmentait avec l'âge.

Parallèlement au développement de mes talents, je m'étais occupé des détails matériels de ma vie, vendant une bonne partie des biens amassés par l'ancien Duncan. Au moins, quelle que soit l'époque, il y a toujours des banquiers qui ne posent pas trop de questions quand les clients ont beaucoup d'argent à placer. J'avais ensuite quitté l'Écosse pour la France, afin de m'éloigner de ceux qui pourraient se rendre compte que Duncan Blackthorne avait un problème avec le vieillissement ...

La France des années 1930, c'est encore la France des Années folles. On parle de la crise qui touche les États-Unis mais on n'en ressent pas encore les effets. Les gens pensent surtout à profiter de la vie, à se faire plaisir. La grande libération des moeurs des années 60 n'a pas encore eu lieu, mais on la sent venir.

C'est dans ce "Paris qui s'amuse" que j'ai débarqué un soir, avec pour premier objectif de trouver la nourriture nécessaire à la subsistance de mon Ka (la nourriture matérielle, elle, ne me pose pas de problème). Je repense à ma traversée de la Manche en paquebot, où j'ai séduit à la fois une veuve et sa fille. Les transports de l'époque n'étaient pas aussi rapides que ceux d'aujourd'hui, mais ils avaient leurs charmes ...

Je fais confiance à ma chance, je laisse le hasard décider pour moi et je jette mon dévolu sur une de ces maisons pudiquement qualifiées de closes. Je suis accueilli par une "patronne" conforme à la tradition, un peu grasse, un peu vieille et très fardée. Je lui dis que je veux des belles filles, elle répond, complice, qu'elle a les plus belles filles de Paris. J'insiste doucement, je dis que je veux vraiment les plus belles et que j'ai de quoi payer. Un coup d'oeil à mon allure de gentleman britannique et à mes vêtements de luxe la rassurent : elle a affaire à un client solvable. Marché conclu.

Elle m'entraîne dans le salon où attendent des filles habillées à la dernière mode et fortement maquillées. En me voyant entrer, certaines gloussent et parlent à voix basse, peut-être de l'élégance du nouveau venu. La patronne fait un geste et me dit : "Les plus belles sont ici, faites votre choix, monsieur !" J'embrasse la pièce du regard et mon choix se porte sur deux filles, une blonde et une brune, assises ensemble dans un coin et discutant comme deux bonnes amies. La patronne hoche la tête avec approbation, surtout quand je lui glisse un gros billet dans la main en guise de pourboire.

Quelque temps plus tard, je quitte la chambre où nous nous étions installés, laissant les deux filles endormies et épuisées. En revenant dans le salon, une surprise m'attend. Un homme parle à la patronne et aux filles ... mais est-ce vraiment un homme ? Une étrange odeur de musc se dégage de lui, ses mains sont bizarres et j'aperçois deux petites cornes sur son front ... Je n'avais encore jamais vu un Nephilim de près et quelque chose me dit que cet être n'est pas très différent de moi. La patronne, encore comblée par ma générosité, me fait signe d'approcher et me présente l'homme sous le nom de Théophile Marchand, le "directeur" de la maison.

Je me présente à mon tour, félicite ce monsieur Marchand pour la bonne tenue de son établissement et lui demande si je peux lui dire quelques mots en privé. Il a l'air surpris, et même un peu méfiant ; a-t-il déjà compris ma nature ? Néammoins, il accède à ma demande et me fait entrer dans son bureau. J'hésite un instant, ignorant complètement comment un Immortel doit s'adresser à un autre, puis je décide de faire au plus simple : la langue de bois m'énerve. Je lui demande donc de but en blanc : "Êtes-vous un Immortel ?"

Il se crispe immédiatement, et je regrette d'avoir été aussi abrupt. Puis il me dit :
"Comment le savez-vous ?... Vous n'êtes pas un Nephilim ...
- Je suis un Selenim." Et pour le prouver, je sors lentement de mes mains de superbes et tranchantes griffes de Lune Noire. Il recule d'un pas et gronde : "Maudit". Je rétracte immédiatement mes griffes et tente de lui expliquer qu'il n'a pas à avoir peur de moi, que je cherche simplement à comprendre qui je suis et qui sont les autres Immortels dont je n'ai eu qu'un aperçu.

Dès qu'il comprend qu'il n'a rien à craindre de moi, il se détend et nous pouvons enfin commencer à parler. J'apprends qu'il se nomme en réalité Hatan le Satyre et qu'aux yeux des Nephilim comme lui, nous autres Selenim sommes des abominations qu'ils ont du mal à comprendre et encore plus à approcher sans crainte. J'essaie à mon tour de lui expliquer ce que je sais de ma nature d'enfant de la Lune Noire, et il est difficile d'accepter une chose pareille sans trembler, même pour un Immortel.

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