La Californie des années 1980 est le lieu de tous les excès, ce qui en faisait un terrain d'expérimentation fertile pour lui comme pour moi. Je hantais les festivals pop et les bars de nuit, où il m'arrivait souvent de me faire passer pour un impresario afin d'attirer l'attention des mannequins débutantes à la recherche de la célébrité. Il est bien connu que pour réussir dans ce métier, il faut coucher ... à condition de tomber sur un véritable impresario. Certes, ce genre de combine avait quelque chose de mesquin. Mais en plus de m'apporter un Assouvissement délicieux, cela me permettait de connaître certaines rumeurs susceptibles de concerner les Immortels. Ainsi, un soir, l'une de mes conquêtes eut un goût de peur qui me frappa immédiatement. Je lui demandai de quoi elle avait peur, elle me répondit que l'une de ses amies avait suivi le gourou d'une secte et qu'on ne l'avait pas revue depuis. Les sectes, pour moi, ne pouvaient guère cacher que deux choses : un Arcane Mineur ou un Immortel cherchant à dominer un groupe d'humains. J'hésitai tout d'abord à me mêler de cela, n'ayant pas une bonne expérience des rencontres avec les Arcanes Mineurs. Mais comme cela m'arrive souvent, la curiosité fut vite la plus forte et me poussa à aller voir de plus près ce gourou qui se mêlait d'emporter mes victimes. La secte ne fut pas bien difficile à trouver, il me suffit de croiser, grâce au bouche-à-oreille, l'un de ses adeptes, et de lui faire croire que j'étais prêt à les rejoindre. Je fis tout pour avoir l'air d'un intégrant normal, passant d'autant plus inaperçu que personne dans la secte ne semblait connaître l'existence des Selenim, pas même son gourou, qui se révéla pourtant être un Nephilim. Je n'ai jamais été un expert en Nephilim, et le caractère de celui-ci me fit d'abord croire qu'il s'agissait d'un Onirim. Je changeai néammoins d'avis en commençant à ressentir la passion qui l'animait. Une telle flamme ne pouvait signifier qu'une chose : il s'agissait d'un Pyrim. Son acharnement à faire naître le feu de la tentation dans le coeur de ceux qu'il croisait était une chose assez incroyable, et sans le savoir (du moins il me semble), il assura un certain temps ma survie par ses expériences. Et croyez-moi, il n'est rien de plus exquis que le Ka-Soleil d'un humain rongé par le désir ... Il agissait sous le nom de John Korren, mais au cours d'une visite nocturne dans ses appartements privés, je découvris son nom de Nephilim : Kareshel. Sa seule occupation semblait être de pousser ses adeptes humains à abandonner leurs inhibitions pour se livrer sans retenue à tous les plaisirs imaginables. Pendant un temps, je jouai à l'adepte idéal, participant à toutes sortes d'expériences et me gavant en secret du Ka-Soleil des autres adeptes jusqu'à plus soif. Parallèlement, je cherchais à comprendre pour quelle raison il avait monté tout cela, en vain. Ses motivations me restèrent totalement opaques. L'expérience de Kareshel prit fin prématurément à la fin de l'année 1985, quand un de ses adeptes, ayant recouvré un peu de sa lucidité, parvint à échapper quelque temps à la vigilance de ses congénères et à alerter la police. Une première visite des policiers n'aboutit à rien, mais quelqu'un leur fit alors parvenir un autre message qui décrivait assez précisément les lieux, le nombre d'adeptes et l'enfermement qui leur était imposé. Je pense que je commençais à en avoir assez de rester sur place à me gaver de Ka-Soleil comme un cochon dans son enclos, et que j'avais besoin d'un peu d'action ... Je fus servi quand les forces spéciales se décidèrent à intervenir. Kareshel invita alors tout le monde à un suicide collectif par le feu pour empêcher les "forces du mal" de les atteindre. Lui pensait sans doute se réincarner dans un des policiers et de continuer son activité d'une autre manière. Mais certains prirent peur et refusèrent de participer au suicide collectif ; et c'est ainsi que sans le vouloir, je me retrouvai à la tête d'un petit groupe d'évadés, tentant de quitter les lieux avec Kareshel et ses fidèles derrière nous, et les forces spéciales devant. En utilisant les chemins les plus éloignés des pièces principales, je parvins à emmener mon groupe hors des murs. Mais les ennuis n'étaient pas terminés pour autant. Certains fidèles de Kareshel avaient déjà commencé à s'immoler par le feu, et les flammes avaient rendu les policiers nerveux. Aussi, en nous voyant sortir de nulle part quasiment sous leurs yeux, ils crurent à un coup-fourré et nous tirèrent dessus sans poser de questions. Plusieurs personnes furent touchées avant que je n'aie eu le temps de lever les mains et de leur crier de ne pas tirer. Il me fallut encore un certain temps pour les convaincre que nous cherchions à fuir et que nous n'étions pas armés. Nous ne fûmes finalement que peu à échapper aux griffes de Kareshel : entre les suicidés, les victimes de l'incendie qui s'ensuivit et les "dommages collatéraux" occasionnés par la police, seules dix personnes sur les cent vingt qu'abritait la secte parvinrent à s'en sortir dans un état acceptable. Parmi ces personnes, à part moi, il y avait Diane, le mannequin débutant dont l'amie m'avait signalé la disparition. Elle était trop heureuse de s'en sortir vivante pour ne pas se jeter dans les bras de son sauveur ... Je n'ai pas revu Kareshel depuis, et j'ignore si lui se souvient de moi. Son cadavre (celui de son simulacre, s'entend) fut retrouvé et identifié dans les décombres, et l'affaire fut officiellement classée, si bien qu'il est peut-être, en ce moment même, en train de remettre en place une secte analogue quelque part dans le monde. Depuis lors, j'évite soigneusement ce type de secte, de peur que quelqu'un me reconnaisse un jour comme un de ses adeptes des années 1980, qui n'aurait pas vieilli d'un jour depuis lors ... 
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